Le Maroc, autrefois puissance maritime en Afrique du Nord, ne compte aujourd’hui que 15 navires commerciaux sous pavillon national. Une chute spectaculaire qui soulève des questions majeures sur la souveraineté économique, la logistique nationale et la résilience du royaume face à la mondialisation.
Une annonce choc qui sonne comme un signal d’alarme
Lors d’une récente session parlementaire, Abdessamad Kayouh, ministre du Transport et de la Logistique, a tiré la sonnette d’alarme. Dans une déclaration franche et sans détour, il a révélé que le royaume ne dispose actuellement que de 15 navires de commerce, dont la majorité appartient à des groupes étrangers. Un constat inquiétant qui a poussé le gouvernement à lancer une étude stratégique approfondie pour comprendre les raisons de cet effondrement et proposer des solutions viables pour l’avenir.
« La situation est préoccupante. Nous devons réagir rapidement et intelligemment pour ne pas perdre définitivement notre souveraineté maritime », a déclaré le ministre devant les députés.
Du faste des années 60 à la dégringolade actuelle
Dans les années 1960 et 1970, le Maroc pouvait se targuer de posséder une flotte nationale robuste, composée de près de 70 navires. Cette flotte représentait un pilier central de l’économie maritime, soutenant les exportations, les importations, et les liaisons stratégiques entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.
Mais à partir des années 1990, une série de décisions économiques controversées a marqué le début de la fin pour le pavillon national. Parmi les causes majeures identifiées :
La privatisation et la cession des compagnies nationales, comme la COMANAV (Compagnie Marocaine de Navigation) et la MAROC NAVIR, à des groupes étrangers.
Le désengagement progressif de l’État dans l’entretien, le renouvellement et la compétitivité de la flotte.
L’absence de stratégie nationale claire sur le long terme pour accompagner la transition logistique et économique du secteur.
Des conséquences lourdes sur la souveraineté économique
Aujourd’hui, cette situation fragilise profondément la souveraineté maritime du Maroc. En confiant la majorité de son commerce maritime à des entreprises étrangères, le pays perd :
Le contrôle de ses routes commerciales maritimes
Des milliers d’emplois potentiels dans le secteur naval
Une part stratégique dans la sécurité économique nationale
En période de crise mondiale, où les chaînes logistiques peuvent être interrompues du jour au lendemain, ne pas disposer d’une flotte nationale compétitive expose le Maroc à des risques majeurs en termes de ravitaillement, d’exportation et de négociation commerciale.
Une nouvelle étude pour redéfinir les priorités
Face à ce constat alarmant, le gouvernement a commandité une étude nationale structurée en deux phases :
Un diagnostic complet du secteur actuel du transport maritime, en examinant les failles, les potentiels inexplorés, et les blocages institutionnels ou économiques.
L’élaboration d’une vision stratégique claire et cohérente, adaptée aux réalités du commerce mondial actuel, mais aussi aux ambitions géopolitiques du Maroc.
Cette démarche s’aligne parfaitement avec les orientations royales formulées par Sa Majesté le Roi Mohammed VI lors du discours du 6 novembre 2023, à l’occasion de la 48e commémoration de la Marche Verte. Le Souverain avait alors appelé à la constitution d’un « véritable arsenal maritime national, compétitif et à la hauteur des ambitions régionales du Maroc ».
Un comité de pilotage plurisectoriel mis en place
Pour garantir l’efficacité et la transversalité de cette étude, un comité de pilotage a été créé. Il regroupe :
Le ministère du Transport et de la Logistique
Le ministère de l’Industrie et du Commerce
Le ministère de l’Économie et des Finances
Les autorités portuaires
Des représentants du secteur privé
Des experts en géostratégie maritime
Objectif : réfléchir collectivement aux moyens de relancer une flotte marocaine sous pavillon national, en mettant à profit l’emplacement stratégique du royaume, bordé par l’océan Atlantique à l’ouest et la Méditerranée au nord.
Le défi de la compétitivité et de la transition écologique
Relancer une flotte nationale ne se limite pas à racheter des navires. Il faut penser moderne, durable, et surtout compétitif. Le Maroc devra :
Investir massivement dans la construction navale locale
Favoriser la formation de marins et d’ingénieurs marocains spécialisés
Adapter sa flotte aux exigences de la transition énergétique, avec des bateaux moins polluants, plus économes en carburant et conformes aux normes environnementales internationales (comme l’IMO 2020).
L’enjeu portuaire : un levier pour appuyer la relance maritime
Le royaume possède déjà des infrastructures portuaires de classe mondiale, notamment le port de Tanger Med, classé parmi les plus grands ports d’Afrique et de la Méditerranée. Mais pour que ces plateformes jouent leur rôle de moteur, il faut :
Une flotte nationale capable de capter le trafic maritime régional
Des accords bilatéraux pour sécuriser des routes stratégiques
Une politique de cabotage maritime cohérente, qui permettrait de relier efficacement les ports marocains entre eux (Agadir, Casablanca, Nador, Dakhla…).
Une opportunité géopolitique à ne pas rater
Le contexte mondial actuel, marqué par la reconfiguration des chaînes logistiques post-Covid et les tensions en mer Rouge, offre une fenêtre stratégique unique au Maroc. De nombreux pays cherchent des routes alternatives pour leurs exportations vers l’Europe et l’Afrique. Si le royaume se dote d’un pavillon maritime robuste, il pourrait devenir un acteur logistique incontournable sur l’échiquier mondial.
Mais pour cela, il faut agir vite, intelligemment, et de façon concertée.
Des experts appellent à une réforme profonde et durable
Plusieurs spécialistes du secteur insistent sur l’urgence d’adopter une politique maritime intégrée. Parmi les pistes proposées :
Créer un fonds souverain dédié à la relance maritime
Subventionner temporairement les entreprises marocaines souhaitant investir dans des navires
Mettre en place des incitations fiscales pour encourager le retour sous pavillon marocain
Lancer un programme national de recrutement et de formation de marins qualifiés
Une reconquête maritime est-elle possible ?
Le Maroc fait aujourd’hui face à un choix crucial : continuer à dépendre de flottes étrangères ou reprendre en main son destin maritime. Si les erreurs du passé ont coûté cher, il n’est jamais trop tard pour agir. La volonté politique semble au rendez-vous, le potentiel logistique est là, et les orientations royales donnent un cap clair.
Redonner vie au pavillon marocain, c’est non seulement renforcer l’économie nationale, mais aussi protéger la souveraineté du royaume sur ses mers, créer des emplois, et bâtir un avenir plus résilient face aux incertitudes mondiales.