Économie

Marché des capitaux : Interview avec la présidente de l’AMMC, Nezha Hayat

<p style="font-weight: 400">La présidente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), Nezha Hayat, a accordé une interview à la MAP sur les priorités d’action de l’Autorité pour l’année 2025 et l’évolution du marché financier, en particulier celui des capitaux.</p>

Dans cette interview, Mme Hayat a mis l’accent sur l’industrie de la gestion d’actifs, le marché à terme et l’importance de la mobilisation de l’épargne dans le financement de l’économie nationale.

 – L’industrie de la gestion d’actifs offre aux investisseurs une diversité d’instruments financiers en mesure de participer au financement de l’économie. Comment l’AMMC compte-t-elle accompagner ces investisseurs, en termes notamment de cadre légal et réglementaire ? Et quels sont les instruments à prioriser ?

L’AMMC porte une attention particulière à l’industrie de la gestion d’actifs. Nous lui consacrons une place importante dans notre plan stratégique pour la période 2024-2028. Cette activité figure également parmi les priorités d’action que nous avons définies pour l’année 2025.

Le marché de la gestion d’actifs offre aujourd’hui une large gamme de solutions adaptées aux différentes stratégies des investisseurs.

Au Maroc, il repose sur quatre grandes catégories de véhicules de placement collectif, chacun opérant sur un segment spécifique.

Les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) interviennent sur les marchés boursiers et obligataires, les Organismes de placement collectif en immobilier (OPCI) sur l’investissement immobilier, tandis que les Organismes de placement collectif en capital (OPCC) constituent un véhicule de prise de participation dans des entreprises non cotées afin de les accompagner dans leur développement.

Quant aux fonds de titrisation, leur champ d’action est encore plus large puisqu’ils permettent de répondre à des besoins variés de financement ou de couverture des risques, aussi bien pour les acteurs publics que privés, en s’appuyant sur des montages souvent innovants.

En 2025, une étape clé sera franchie avec une refonte complète du cadre réglementaire des OPCVM. Une nouvelle loi, qui devrait être adoptée très prochainement, viendra renforcer la protection des investisseurs en introduisant notamment une obligation d’agrément pour les sociétés de gestion. Elle leur offrira aussi de nouveaux outils pour mieux gérer les risques de liquidité auxquels peuvent être confrontés les OPCVM.

Enfin, cette réforme permettra une diversification des instruments d’investissement avec l’introduction de nouvelles catégories de fonds, comme les OPCVM cotés en bourse – les ETF (Exchange-Traded Fund / Fonds négociés en bourse) –, les OPCVM en devises, les OPCVM participatifs et enfin, des OPCVM à règles de fonctionnement allégées, destinés aux investisseurs qualifiés.

La titrisation sera également au cœur de nos priorités en 2025. Nous prévoyons lancer une étude afin d’identifier tout le potentiel de cet instrument et de stimuler son développement dans un cadre sécurisé.

L’objectif est de clarifier son cadre d’application, d’identifier les opérations les plus adaptées aux besoins des opérateurs économiques et de nous assurer qu’elles respectent les exigences réglementaires locales, tout en étant conformes aux meilleures pratiques internationales, notamment en matière de protection des investisseurs.

 – L’une des missions de l’AMMC est celle de veiller à la protection de l’épargne investie en instruments financiers.  Quelle est la stratégie de l’Autorité dans ce sens pour l’année 2025 ?

Le renforcement de la supervision est un levier essentiel pour garantir la protection de l’épargne. En 2025, l’AMMC mettra l’accent sur l’intensification des contrôles, avec près de cinquante missions d’inspection prévues auprès des intervenants du marché, notamment dans les secteurs de la gestion d’actifs et de la tenue de comptes titres. Cela représente une augmentation de plus de 50% par rapport à 2024.

En parallèle, nous entreprendrons des missions thématiques pour évaluer les pratiques de marché sur des sujets clés tels que la déontologie, la gestion des conflits d’intérêts, les réseaux de commercialisation des instruments financiers et la bourse en ligne.

La sensibilisation constitue également un axe majeur de notre action. À ce titre, nous publierons un guide destiné aux professionnels et au grand public afin de mieux encadrer et prévenir les délits boursiers.

Enfin, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC&FT) et en prévision du prochain cycle d’évaluation mutuelle du Maroc opéré par le Groupe d’action financière (GAFI), et qui débutera en 2026, nous poursuivrons le travail d’accompagnement de l’ensemble des acteurs dans la mise en place de dispositifs efficaces pour faire face à ce fléau.

À titre d’exemple, l’AMMC prévoit l’élaboration d’un guide dédié afin de les aider à mieux identifier les risques spécifiques à leur activité et à renforcer leur dispositif de contrôle.

– L’année 2024 a marqué un tournant stratégique pour le secteur financier marocain, avec notamment le lancement du marché à terme. Quelle sera l’étape suivante en 2025 ? Qu’en est -il du lancement des futures sur taux ?

Le lancement d’une bourse d’instruments financiers à terme représente une avancée majeure pour le marché des capitaux, particulièrement à un moment où ce dernier est appelé à jouer un rôle central dans le financement de l’économie marocaine.

Au-delà de son impact immédiat, cette initiative s’inscrit dans un cadre plus large de modernisation et de transformation de nos infrastructures de marché que sont la Bourse au comptant, la Bourse des produits dérivés, le dépositaire central et la chambre de compensation.

Concrètement, ce marché à terme apportera plusieurs avantages. Il offrira aux acteurs du marché des instruments innovants pour se couvrir contre les risques, tout en améliorant la liquidité des instruments financiers au comptant, ce qui devrait attirer davantage d’investisseurs. De plus, il contribuera à renforcer le rayonnement international de la place financière marocaine, consolidant ainsi son positionnement à l’échelle régionale et continentale.

Concernant le cadre législatif de ce marché, la loi n°42-12 permet l’introduction d’une large gamme d’instruments financiers à terme, comprenant trois grandes familles : les contrats à terme, les contrats optionnels et les contrats d’échange. Ces instruments peuvent être structurés autour de divers actifs sous-jacents, tels que les actions, les indices, les taux d’intérêt, les devises ou encore les matières premières.

Pour assurer une mise en œuvre sécurisée, nous avons opté pour un démarrage progressif et graduel. L’idée est de commencer avec des produits relativement simples, afin de permettre aux acteurs de bien appréhender les risques associés avant d’introduire des instruments plus complexes.

Après concertation avec les parties prenantes, il a été décidé de débuter avec un contrat à terme sur l’indice MASI 20 de la Bourse de Casablanca.

Actuellement, la note d’information relative à ce contrat est en cours d’instruction par nos équipes pour son autorisation. En parallèle, nous préparons le lancement de contrats à terme sur taux d’ici la fin de l’année.

Nous suivrons de très près l’évolution de ce marché non seulement pour en encadrer les risques, mais aussi pour identifier les nouveaux besoins qui émergeront. L’objectif est d’assurer un développement ordonné et progressif des instruments financiers à terme, en prenant en compte des critères essentiels tels que la liquidité et le potentiel de croissance de chaque produit.

Enfin, il est important de souligner que ces instruments financiers à terme sont relativement complexes. Leur bon fonctionnement repose sur une compréhension approfondie de leurs mécanismes et des risques associés, tant par les intermédiaires de marché que par les investisseurs finaux.

C’est pourquoi nous avons mis en place plusieurs initiatives de formation et de sensibilisation, avec un accent particulier sur l’éducation financière.

Nous avons développé un programme de formation en collaboration avec la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), le régulateur américain des produits dérivés. Leur soutien nous a permis de créer un programme dédié pour former les acteurs du marché aux exigences spécifiques liées à l’agrément des intervenants pour la négociation et la compensation sur ce marché.

D’ailleurs, nous instruisons actuellement les premières demandes d’agrément des membres négociateurs et compensateurs, et ces autorisations devraient être délivrées très prochainement.

– Quid de l’éducation financière qui constitue un axe stratégique majeur dans le plan de développement 2024-2028 de l’AMMC ?

L’éducation financière constitue un axe stratégique essentiel pour l’AMMC. Ces dernières années, nous avons multiplié nos efforts en diversifiant nos outils et canaux de diffusion, afin de rendre la connaissance financière plus accessible et garantir une meilleure protection des épargnants.

Cette dynamique s’est traduite par de nombreuses réalisations. Nous avons produit différents contenus pédagogiques incluant huit guides couvrant des sujets clés tels que les circuits d’investissement, les OPCVM et les introductions en bourse.

Nous avons également conçu deux brochures sur les placements et la protection des épargnants, ainsi que cinq capsules animées qui expliquent de manière ludique des concepts comme la finance durable. Par ailleurs, nous avons développé deux livrets-jeux interactifs et une application mobile qui propose des parcours et des quiz adaptés à différents niveaux.

Nous avons renforcé notre présence sur les réseaux sociaux et à la radio avec 4 campagnes radio ces 3 dernières années. Sur le terrain, nous avons organisé 40 conférences dans les universités, atteignant plus de 3.700 étudiants, ainsi que 12 ateliers dédiés aux professionnels.

Nous avons aussi lancé des compétitions éducatives comme le concours de bande dessinée en 2023 et le Quiz Finance qui en est à sa quatrième édition avec 700 participants répartis dans huit régions du pays.

Enfin, nous participons activement à des initiatives internationales de sensibilisation, telles que la World Investor Week et la Global Money Week, avec plusieurs éditions à notre actif.

Concernant nos projets à venir, le plan stratégique 2024-2028 met l’accent sur l’amplification et la modernisation de nos actions d’éducation financière. Nous avons récemment lancé le portail “Le marché des capitaux pour Tous”, une plateforme interactive qui centralise toutes nos ressources éducatives et propose une approche ludique pour rendre la finance accessible à tous.

Nous envisageons également la création d’un centre d’éducation financière pour offrir une immersion totale dans l’univers des marchés de capitaux.

Par ailleurs, nous allons intensifier notre présence sur les plateformes numériques pour diffuser nos messages de manière encore plus interactive, en ciblant particulièrement les jeunes et les populations éloignées des canaux d’information traditionnels.

Enfin, nous allons accompagner l’émergence de nouveaux produits d’épargne en menant des campagnes de sensibilisation ciblées pour mieux informer le public sur leurs caractéristiques et leur fonctionnement.

– Le marché boursier a connu une forte dynamique en 2024 qui s’est conclue par une IPO réussie en fin d’année. Quelles actions pourraient contribuer à maintenir cette dynamique voire à accélérer le recours des entreprises au financement via la Bourse ?

L’année 2024 a été particulièrement dynamique pour le marché boursier avec une forte amélioration de la liquidité et un volume d’échanges en hausse de 52%.

Nous avons également observé un recours accru des entreprises à la bourse qui a permis de mobiliser plus de 7 milliards de dirhams avec une introduction en bourse réussie d’une société opérant dans un nouveau secteur, celui de l’agro-industrie, pour plus de 1 milliard, 6 augmentations de capital totalisant plus de 5 milliards, ainsi qu’une offre de cession d’actions au public pour plus de 1 milliard.

Ces résultats confirment un regain d’intérêt des investisseurs et un environnement favorable au financement des entreprises par le marché des capitaux.

 Pour consolider cette dynamique, nous travaillons avec l’ensemble des acteurs du marché sur plusieurs chantiers structurants inscrits dans notre plan stratégique 2024-2028.

L’un des axes majeurs concerne l’enrichissement des instruments financiers disponibles. Le lancement du marché à terme offrira aux investisseurs des outils de gestion des risques et des stratégies d’investissement innovantes, renforçant ainsi la liquidité du marché.

Par ailleurs, la réforme du cadre réglementaire des instruments de gestion collective introduira de nouvelles classes d’actifs cotés et permettra aux gestionnaires d’actifs de proposer des stratégies plus adaptées aux besoins des investisseurs.

Nous accordons aussi une attention particulière à l’accès des PME au financement boursier.

Depuis 2022, une offre dédiée leur permet de bénéficier d’une réduction de 50% sur les frais appliqués par les principaux acteurs du marché, d’une simplification des démarches via un guichet unique au sein de l’AMMC, ainsi que de programmes de formation et d’accompagnement sur mesure.

Nous poursuivrons nos efforts pour enrichir cette offre et explorer de nouvelles solutions, notamment à travers des mécanismes mutualisés de financement.

Enfin, l’AMMC continuera à collaborer étroitement avec la Bourse de Casablanca, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et les pouvoirs publics pour accompagner les entreprises et renforcer leur connaissance du marché boursier, y compris du marché alternatif, afin d’en faciliter l’accès.

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